Maya voyait l’horloge tourner. Et toujours rien. La feuille ne s’était pas donnée. Elle restait vierge comme un laideron dans une chorale de JMJ. Seul son prénom gisait là, sur le papier désert. Son nom, c’est tout ce qui pouvait gicler de sa cervelle solitaire. Et ça ne pissait pas loin. Et même si elle donnait tout ce qu’elle avait, tout ce qu’elle était, ça ne pissait pas loin. Quatre foutues lettres. Comme une injure envers cette émancipation qu’on s’aime à rappeler, quand trois macaques baisant en missionnaire, ébranlent quarante siècles d’avanie. La pomme pourrie. Cette fierté du cortex. On en faisait LE paradigme. Le "petit plus" nucléique entre l’habile et la bête. Sitôt qu’un bougre manquait d’intelligence, il était bon pour les lazzis de la tribu. La foule adore faire des martyrs avec l’idiot de leur village. Il y avait toujours un crucifix prêt-à-porter. Par le reflux de son contraste, l’ami benêt rendait la horde solidaire. Il endossait le rôle de l’étranger. Et les crachats de la vulgate pouvaient tracer confusément Si vous n’êtes pas ce zigoto, alors vous êtes des nôtres.

Pourtant, Maya supposait bien que la stupidité n’invalidait personne. Que la tendance était même à son encouragement. L’heure était au cul nu. Aux rictus décomplexés. Plus personne n’avait honte de sa médiocrité. Les feux de la rampe illuminaient tant de guignols qu’on ne savait plus où donner de la tête. Il n’y avait plus d’efforts à faire. Plus personne à impressionner. Faute de devenir des héros, on revendiquait le droit de n’être que des tocards. Encanaillés dans ces syndicats d’avortons. La faute à tout le monde. Donc à personne. On pouvait se taper dans le dos sans y laisser de traces. Viens là mon vieux que je t’embrasse, tu ne vaux rien comme moi.

Tout archétype du peut mieux faire était devenu histoire ancienne. Les boucs sagaces n’avaient jamais été moins émissaires. Il n’y avait plus rien à racheter. Vos péchés ? De la petite monnaie qui traine dans toutes les poches. Vos confessions ? Du bavardage qui n’intéresse plus personne. Toute repentance de votre petitesse injurierait leur condition. Si vous voulez vous exfolier sur une place publique, tâchez de la faire avec ventripotence. Portez vos peccadilles comme vos plus belles breloques. Ne cherchez pas l’absolution dans la litote. Arborez-les fièrement ! Oui je suis tout petit et je t’emmerde. On n’est jamais autant humain que lorsqu’on est con comme un poireau.

On est tout p'tits, on est à chier !!

Pourtant, elle pouvait faire davantage.

Inspiration. Soupir.

Dernière ligne droite. Dans sa détresse reluisante, elle revoyait son air perplexe et sourcilleux qui rouspétait le fort-en-thème : "plus tu lis des auteurs qui pensent à ta place, moins tu penses par toi-même". Après cela, elle se souvint bombant le torse. Rehaussant ses épaules avec minauderie. Elle avait l’air malin, là, avec ses certitudes et son aplomb dans l’aile.

La panne.

Pourtant, en bon suppôt de la patrie, elle se sentait taillée pour réussir. C’était écrit à la craie blanche. Dans toutes les cours de récré. CIEL A LA MIRE POUR LES CLOCHE-PIEDS. Personne n’aurait signé pour autre chose. A quoi bon l’égalité des citoyens ? S’ils n’étaient pas promus à un avenir sensationnel… Evidemment, personne n’a pour autant le droit de l’accomplir. La récompense républicaine doit être une destinée pour soi et une promesse pour les autres. C’était la condition pour que vous puissiez bander en paix. Sans qu’un frustré de la quéquette ne vous occise à chaque tournant.

Soleil démocratique donc. Massive armée de soupirants. Les fronts ceints d’une auréole de vainqueur. Le monde se donne aux audacieux. Sourire aux lèvres retroussées. Timide écho en contrechant "à moi tout seul les joies de la zone rouge". Un courant d’air. Voilà que point l’alter ego. Cette poisse, cet enfoiré de convoiteur, ce traitre à ma cause tacite. Il fallait mettre les bouchées doubles. Prendre le large et mériter plus belle pitance. Car après tout, ce qui se donne à tous ne vaut plus rien. Ce n’est pas l’agent de Madonna qui me dira le contraire. Il fallait exiger davantage. Ainsi Maya et ses millions de congénères réajustèrent leur bandeau. Fini le temps des camarades. Il fallait faire crisser les gommes. Leur faire cracher leur petit fond de culotte.

Frais chevelus, coiffés Super Saïyen, voilà que les grandeurs nous font de l’œil prometteur. Monades en pognes rutilantes, on vient rouler des mécaniques. Tout convaincus que cette nouvelle présence à nous-mêmes nous a rendus meilleurs. Que désormais nous méritons du conséquent. Du destin panoramique. Au bout de la carotte, vos dix galons du spécialiste. Vous devenez l’autorité suprême d’une bouchée de rien du Tout. C’est une moindre récompense pour cet athlète qui vous titille au fond des veines.

Si vous tombez sur la case Dutrou, vous perdez une vie

Alors Maya s’obstine à pénétrer son personnage. A rançonner son vitalisme pour en tirer tous ses secrets. Pour inonder de son empreinte le sol statique de la récré. A peine perdue. Car la splendeur de ses éclaboussures sera toujours limitée par ses six litres de sang. Et deux dixièmes d’hectogrammes. Et c’est pour ça que Maya sèche. Pour son excès d’omniprésence. Pour trop peser dans la balance. En lieu et place de ces auteurs moisis. Parce qu’il ne suffit pas de s’essorer le bourrichon pour accoucher d’un peu de génie. Les droits d’hauteur se gagnent sur les épaules de nos ancêtres.

A vrai dire, on n’est jamais autant brillant que lorsqu’on s’absente de nous-mêmes. Quand on s’efface dans le silence de son ego. Qu’on laisse passer la lumière du Daemon. La seule qui nous confère un peu de talent. Dès qu’on fait irruption, on apporte avec soi sa propre misère. On dégrade le Tout pour un grotesque mimodrame.

Le premier poète était hanté par le pneuma divin. Retranscrivant dans son langage ce qui venait d’ailleurs. C’était une mule accidentelle, qui distillait en douce de la breloque clandestine ; en salopant de ses dix doigts la matière brute originelle. Le kif s’en trouvait frelaté ; mais devenait comestible pour les cochons. La foule avide pouvait dès lors louer la provision de leur dealer de termes. Leur poète. Leur philosophe. Leur orateur de place publique. Qu’importe l’étiquette pourvu qu’il dérobât le feu sacré pour le descendre aux hommes. On imagine mal qu’il fut à même d’en sécréter. Ce vandale de monte-en-l’air n’était qu’un démon d’emprunt. Mais ça n’entachait rien de son talent. Plus il laissait rugir ce feu qu’il usurpait, plus il se rapprochait de la divinité. Le meilleur d’entre eux était celui qui n’était plus.