La Tentation Des Bousiers

Alors levant son bras, et d'un pan de son voile, il couvrit ses sujets lestes et disparus :

" Et c'est pourquoi, respectant Lévinas, l'Autre vous sortira de vous-même. Vous êtes de tristes daubes, abandonnez tout espoir de sauver votre liquette.

- Professeur, j'ai une envie pressante, je peux?"

- Bien sur ! Allez vous soulager !

 Je me levai alors et lui collai une bonne taloche.

- Meurs pourriture janséniste !

Alors que je lui suturais l'ignoble trou qui lui servait de bouche à l'aide d'un Roller Pritt, un p'tit fayot binoculaire objecta :

- Vous pouvez difficilement contester que l'Autre en tant qu'Autre soit le média le plus à même de synthétiser votre finitude.

- Votre remarque est intéressante, pourriez-vous l'approfondir?

- Bien sur, je disais que...euh...??!! Oé...a...un...éiaai...

(Avec le canon d'un révolver dans la bouche, on ne distingue que les voyelles, ndlr)

- Voilà, il est là le problème. J'adore la démocratie. Cet échange juteux guidant ses interlocuteurs jusque ces cieux transcendantaux. Mais sans arbitre, le débat s'enlise dans le babil stérile et verbeux. Et dès qu'on intercède avec un flingue minimum de vigilance, c'est le silence le plus total, la fin de la parade, comme une descente de flics dans un bordel effervescent.

J'inclinai le menton du nabot avec le canon lourd de ma pétoire.

- Hein qu'il est un gros troll? Hein? C'est çaaaaa que t'appelles le Messie? Tu t'ouvrirais à ce branleur qui te bouscule la gingivite avec son PPK? Il est où ton abandon hein? Ton petit saut qualitatif dans le grand bain? Vois-tu mon con, l'altérité c'est pas la panacée à ta misère. Et le premier quidam qui passe n'a pas les loches de ta maman. Alors tes p'tits désirs de gros foetus plaquant la sueur de son ego pour aller convoler avec Jesus, tu te les gardes jusqu'aux calendes. Et si le chant du Lévinas t'inspire frisson épique et moult atermoiements du bulbe, remets ta vie à un gourou qui se fera une joie de te dédouaner des joies de la responsabilité et de ton porte-monnaie.

Le Nirvana civique, l'ataraxie existentielle. Sisyphe laissant son roc en plein milieu de la chaussée pour une partie de belote avec ses potes. Fin de la souffrance et du rocher qui grince, fin de la prise de tête gigantomachiste. Le monde est fluide comme du bouillon d'onze heures. What else?

"Toi et moi et nous et tous ceux qui sont seuls...

Allez venez et entrez dans la danse" 

Et ensuite mes pieux moutons? On passe le restant de "nos" jours à vivre en harmonie avec le chant des poulpes? A dilapider nos quelques reliquats de jeunesse dans la méditation supra-tantrique en machouillant des fleurs de lotus? Déjà qu'attendre la prochaine Coupe du Monde me donne envie de me cryogéniser dans mon congel entre les boîtes de Croustibat et les souplettes concombre-menthe-caramel, je doute que vingt cinq ans de cogitation à vide me permette de contempler la Grande Image Sonore. Et quand bien même je flotterai gai dans un orgasme mystique perpétuel, je doute encore que cela couvre les frais de fission.

Puis je ne sais pas pour vous, mais un loustic qui me tapinerait à coup de "hey pssst ça te dirait de jouir sans fin? Signe ici ici et ici" ben je sentirai comme une odeur d'esbroufe. Des indulgences cathos aux soixante dix vierges pour les barbus, des milliards de crétins cosmiques s'enrolèrent dans les rangs nonobstant nota bene et autres astérisques faisant pourtant légion. D'un autre côté, quand tu ne sais pas lire... Alors oui je suis méchant. Tous ces Portiques ne vous proposent pas de vous faire sauter la trogne au nom de Dieu. A minima, le sacrifice de vos ego. Un tel projet n'impactera encore une fois que des sinistres reprouvés, des mécréants à la petite semaine ou des agneaux sans collier. L'Homme qui n'a rien à perdre emporte tout dans son chagrin...

Je fis une pause. Le temps de boire quelques gorgées et d'essuyer la lame de mon couteau. Les lecteurs qui ont survécu jusque là besoin d'aller au petit coin se dépèchent. Reprise dans cinq minutes.

*****

En fait l'idéologie de la salvation exotique dans l'Autre supposé meilleur que moi tient dans l'illusion que les frontières entre les êtres sont une donnée (mathématiquement) évidente. Des ego bien confinés dans leurs petites limites bien confortables, alignés, empilés, dans une Cité légotechnique. Une vraie banlieue américaine. Partant un esprit non teubé saisira deux ou trois choses fondamentales :

- Foutez-moi la paix et cassez-vous de mes plates-bandes. C'est chez moi ici !

- J'irai bien croquer les pommes de mon voisin, tâter un peu son jacuzzi qu'il s'est payé car il bosse mieux que moi et accessoirement culbuter sa femme bien plus boobée que ma Josiane.

- Ah merde c'est sur que ce gros rabat-joie ne me laissera pas toucher une miette.

- En même temps si c'était open-bar, y a le risque que l'autre voisin m'abîme ma grosse et mon barbeuc.

Passés historiquement experts en fourberie ninja, nos camarades chenus de la Judée intérimaire mirent au point la stratégie liquide du "pour vivre heureux (quand on a rien) vivons fauchés !". Du coup rien à perdre ou à laisser derrière soi, on peut focus à mort sur le voisin. La colonisation, c'est plus facile quand on voyage léger !

Donc au détour de tout cela, retenons qu'il faut :

- N'avoir rien à perdre

- Etre dans le délire transcendantal

- Avoir un Bac+2500 en fourberie ninja

- Avoir de bonnes semelles

- Aimer les toupies

Rahan, bubele des ages farouches 

Mais surtout,avoir des comptes à rendre avec Papa. Sans nostalgie du Créateur, il n'y a pas d'extase possible. M'est avis que si notre Rahan ne croyait plus à la course du Soleil et sa foutue tanière, il irait rejoindre Sisyphe à la belote. M'enfin, je dis ça comme ça, mécréant que je suis. Sans cela braves gens, que nous reste-t-il? Sans cette intime épine nous ravageant la chair, sans l'injonction intestinale de ne pas zôner après minuit dans le verger des Hespérides? Pour ceux qui ne veulent pas dîner à la maison, pourquoi diable déambuler sans thune dans les vignobles du Seigneur? All By Myself Baby !

L'Autre redevient le gros boulet, un petit autre depossédé de son aura sacrée, rayonnant dans toute la splendeur de sa finitude. Ne valant plus mieux que vous, pourquoi s'en remettre à lui? Sachant que :

- il ne sait pas ce qu'il dit

- il ne sait pas dire ce qu'il veut

- il croit savoir ce qui est bon pour lui

- il cherche ce qui est bon pour lui, pas forcément pour vous

- il cherche ce qui est bon sur le court terme

 Cherchez toujours fortune et réconfort âmes grelottantes ! Dans ces abscisses laïcisées, vous ne trouverez que l'impérialisme du Même, vous renvoyant éternellement jusqu'à vos guêtres. A la rigueur les trente deniers que vous dépenserez, le coeur transi, vous offriront quelques instants de fétichisme. Il n'y a plus de Salut par le média de mon voisin.

Alors que je gardais la pose (oeil vide perdu au lointain + cigarette négligemment allumée + un corbeau posé sur l'épaule) pour laisser mon public s'abreuver de cette sentence finale, je fus surpris d'entendre mon fan le plus proche - qui tétait goulument mon révolver depuis deux heures - sanglotter comme une madeleine-fontaine.

- Mais ce n'est pas grave mon grand biquet. Ne pleure pas ce Dieu parti pisser. Cela nous autorise un nouvel horizon. N'est-il pas merveilleux de parcourir ces plaines encore fumantes de ces charniers?